Le professeur émérite René Passet vient de nous quitter, à l’aube de ses 100 ans. C’est une grande tristesse pour ses lecteurs, ses étudiants, ses collègues et toutes celles et ceux qui, en l’écoutant ou le lisant, ont pu comprendre à quel point ses intuitions et ses analyses, pionnières, étaient justes. Génération Ecologie adresse tout son soutien et ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
En s’attachant à démontrer l’enracinement de l’économie dans les écosystèmes et l’environnement dès les années 70 (1), ce professeur en économie du développement à Bordeaux s’est vite imposé comme l’un des pères fondateurs de la bioéconomie. Adepte de la pensée complexe, il partageait ainsi ses réflexions avec Edgard Morin ou Joël de Rosnay dès les années 60’, au sein du Groupe des 10. Nous lui devons la dénonciation du caractère inépuisable des ressources naturelles, pourtant solidement ancré dans l’ensemble des théories et des pratiques économiques. Les lois de la biosphère conditionnant tout le reste, l’économie ne devrait plus avoir qu’à en respecter strictement les exigences, au risque de conduire à l’effondrement par excès de prédations et de consommations. La critique du néo-libéralisme qu’il déploiera plus tard en est logiquement issue. Comment dire mieux ?
Mais René Passet n’a pas seulement été à l’origine d’un nouveau courant économique : hétérodoxe, il a remis en cause la science économique elle-même. En 2010 (2), en analysant les théories économiques, des physiocrates aux Modernes, en passant par Marx, Schumpeter, ou Hayek, il avait remarquablement pointé l’interdépendance entre les explications économiques données par les « économistes » et l’évolution des sociétés humaines. Il appelait ainsi l’économie contemporaine à s’enrichir des autres regards disciplinaires (dont les sciences humaines et sociales) pour questionner le monde plus globalement et pour proposer des solutions plus adaptées, fondées sur les limites des ressources naturelles et du Vivant.
Génération Écologie, très attachée au socle scientifique de l’écologie politique, rend hommage à l’universitaire, au pédagogue autant qu’à l’humaniste et à l’homme engagé, dont la continuité du parcours, exemplaire, ne peut qu’être source d’inspiration. Nous lui sommes pleinement reconnaissants de ce solide héritage sur la voie de la décroissance.
Anne-Laure BEDU, professeur associé en Sciences Politiques, Sciences Po Bordeaux
(1) « L’Économique et le Vivant », 1979
(2) Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’Histoire, 2010