La CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive », directive sur la transparence des entreprises) et la CS3D (« Corporate Sustainability Due Diligence Directive », directive sur leur responsabilité) étaient les seuls outils adoptés par l’Europe pour obliger les grandes entreprises à prendre en compte les limites planétaires et les droits humains. La CSRD les contraignait à publier leurs impacts sur l’environnement et la société. La CS3D les rendait légalement responsables des abus — travail forcé, pollution, violations des droits humains — partout où elles opèrent, une avancée pour le devoir de vigilance arrachée après des scandales comme l’effondrement du Rana Plaza, usine de confection au Bangladesh ou encore l’importation de produits issus de l’exploitation des Ouïghours. Adoptées il y a respectivement trois ans (CSRD) et moins d’un an et demi (CS3D) ans, et bien que largement insuffisantes, ces directives faisaient de l’Europe une pionnière à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, elles sont méthodiquement vidées de leur sens.
Au Parlement européen, une alliance de la droite avec l’extrême droite vient en effet d’adopter une réforme destructrice qui démantèle ces deux directives sous prétexte de « simplification ». Elles sont désormais des coquilles vides : le seuil d’assujettissement des entreprises passe de 250 à 1750 salariés pour la CSRD et à 5000 pour la CSRD, la responsabilité civile européenne est supprimée, et les plans de transition climatique abandonnés. Conséquence ? Les entreprises les plus engagées, celles qui avaient commencé à changer sérieusement leurs pratiques, voient leurs efforts désavoués. Les autres obtiennent un permis de polluer et d’exploiter sans limites. Ce vote n’est pas une réforme, c’est un sabotage.
Un choix politique et économique désastreux
Les études le montrent : la transparence sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) améliore la performance financière des entreprises et réduit leur coût de financement. En affaiblissant la CSRD et la CS3D, l’Europe s’aligne sur une logique de recul réglementaire venue des États-Unis, exposant ses entreprises à des risques juridiques, financiers et réputationnels. Or, c’est bien l’Europe qui, avec ces mêmes normes, avait imposé une dynamique mondiale, incitant des pays comme la Chine, l’Inde, le Japon ou le Brésil à s’aligner pour rester compétitifs. En y renonçant, l’Europe ne commet pas seulement une erreur écologique, sociale et économique. Elle abandonne son rôle historique : celui de porter une vision ambitieuse, où les entreprises intègrent les limites planétaires et les enjeux sociétaux dans leurs modèles. Pire, elle perd sa crédibilité sur la scène internationale, au moment même où elle pourrait incarner une alternative d’espérance face à l’internationale des Destructeurs.
Le trumpisme à l’européenne : une alliance fossile contre l’intérêt général
Ce vote révèle la tentation d’un trumpisme à l’européenne : une gouvernance où la droite, main dans la main avec l’extrême droite, sacrifie l’intérêt général pour satisfaire les lobbies industriels et les multinationales polluantes. En supprimant les recours juridiques pour les victimes de violations des droits humains, et en ignorant les avis des experts, l’Europe piétine ses propres principes. Les multinationales bénéficient d’une impunité renforcée, tandis que les citoyens voient leurs droits à la transparence et à la justice réduits. Une gouvernance dangereuse s’installe où les profits priment sur les droits humains et la planète, qui rappelle les dérives observées outre-Atlantique.
Soutien aux ONG et appel à la mobilisation
Génération Écologie soutient pleinement les ONG qui ont saisi la médiatrice européenne pour dénoncer l’opacité et l’illégalité de ce processus législatif. Nous exigeons une enquête approfondie sur les conflits d’intérêts et les dérives antidémocratiques qui ont conduit à ce vote.
Par ailleurs, nous alertons sur un prochain paquet de simplifications qui devrait être dévoilé en décembre par la Commission Européenne, portant sur la levée de contraintes pour l’industrie chimique, et menaçant de démanteler les protections sanitaires et environnementales existantes. Nous appelons à la mobilisation pour s’opposer fermement à ces dérives mortifères pour l’environnement, l’économie et la démocratie.
Ce vote confirme une dérive dangereuse où droite et extrême droite unies imposent une logique de dérégulation aveugle. Nous assistons à la naissance d’un trumpisme à l’européenne : un mépris assumé pour les règles démocratiques, une soumission aux lobbies industriels, et un renoncement à protéger les citoyens et la planète. L’Europe ne peut pas devenir le terrain de jeu des multinationales ni des puissances fossiles. Il est temps de résister.
Gaelle Ricquebourg-Berteaux et Pierre de Beauvillé, membres de la commission économie de Génération Écologie