Economicus Relance : quid de l’écologie ?

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Une sagesse bien volatile

Comme tout le monde, j’ai bien confiné, mais mon esprit n’est pas devenu celui d’un poisson rouge tournant en rond dans mon appartement. Je me souviens des déclarations du Président de la République Emmanuel Macron, le 16 mars 2020, appelant chacun d’entre nous, citoyens, à faire un travail sur soi-même pour retourner à l’essentiel (« Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. Je pense que c’est important dans les moments que nous vivons. La culture, l’éducation, le sens des choses est important. »[1]). Et puis, de nous affirmer que rien ne sera plus comme avant, que toutes les conséquences seront tirées (« Nous gagnerons, mais cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent. Ne nous laissons pas impressionner. Agissons avec force mais retenons cela : le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences. »).

A la lecture successive des annonces du gouvernent sur les plans de soutien aux secteurs économiques grandement en difficulté (aéronautique, automobile…), à l’annonce de ce 3 septembre 2020 sur le plan de relance (France Relance) pour reconstruire et préparer la France de 2030, le temps de ces paroles appelant à la sagesse est loin. Elles ont même un goût d’hypocrisie croissante, dès lors que nous plongeons dans les orientations données à ce temps de la relance !

Des annonces successives faisant des pas de côté de plus en plus grand vis-à-vis de l’écologie

Rappelons-nous, en mai 2020, le plan de soutien au secteur de l’automobile de 8 milliards d’euros[2]. On invente le « black Friday » de l’automobile pour éviter que les véhicules invendus (à 95% thermiques) ne perdent de la valeur. Et « en même temps », on fait croire qu’on « soutient la demande ». Du bluff à l’essence économique pure ! Et de continuer avec des annonces clinquantes du grand virage pour le déploiement des véhicules électriques et pour produire au mieux (si les chaines de production s’adaptent) 40% des immatriculations propres de demain. Le reste sera toujours du thermique. Et ce, sans contrepartie écologique !

Rappelons-nous, en juin 2020, le plan de soutien à la filière aéronautique[3]. C’est avec indécence qu’on donne 15 milliards d’euros. Une perte pure pour le climat ! Aucune contrepartie écologique ! Du bluff technologique entretenant l’illusion que l’augmentation du trafic aérien pourrait se poursuivre et annonçant l’avion à hydrogène en 2035 (très probablement que les archives de l’INA en parleront en 2070 comme un souvenir d’une innovation du passé). 

Et puis, fin juin 2020, le Président de la République annonce reprendre « sans filtre » (presque) toutes les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, mais ne change pas de vision du monde[4]. Et ce, en considérant comme compatible la croissance économique, prise comme une fin en soi, et l’écologie qui doit s’y adapter ! Croyances et illusions d’optique de rigueur. Les trois « jokers » du Président de la République ne sont pas un simple fait, ils en disent long sur les orientations et stratégies politiques « en marche » par le gouvernement !

Et un plan de relance fossile sacrifiant sur l’autel la transformation écologique

Maintenant, nous y sommes, tardivement, inlassablement avec un vocable inadapté d’une vision du monde toujours aussi erronée, avec #FranceRelance, le « plan de relance » de 100 milliards d’euros pour 2 ans !

Fin juillet 2020, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire déclarait « Nous veillerons à ce que toutes les décisions de relance favorisent un nouveau modèle de croissance fondé sur la décarbonation, la sobriété énergétique et les innovations vertes. Le plan de relance sera un plan vert. Trois secteurs seront « prioritaires : la rénovation énergétique, les transports et l’énergie » ».

Sur l’ensemble du plan de relance, le Premier Ministre rappelle les trois priorités :

    1. 34 milliards d’euros consacrés à « rendre la France plus compétitive et plus souveraine », dont 20 milliards d’euros pour une baisse d’impôts pérenne sur les productions pour « protéger l’industrie ». Et les milliards restants contribueront à renforcer les fonds propres des entreprises, notamment les entreprises de taille intermédiaire, qui innovent et exportent. Si la relocalisation industrielle est évoquée dans les secteurs prioritaires comportant des enjeux de souveraineté, est-ce que les secteurs révélés par la pandémie et le confinement sont prioritaires (alimentation, santé…) ? Il s’agit globalement d’accroitre la compétitivité des grandes entreprises. Alors que les aides fiscales aux entreprises représentent 20% du plan de relance, force est de constater l’absence de contrepartie sur la transformation écologique, sans appliquer d’éco-conditionnalités ex-ante sur ces aides, sans accompagnement aux transformations des métiers ! Tout se passe comme si on misait sur la bonne volonté et l’exemplarité des entreprises pour être responsables et intégrer les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, et sans contraintes en cas de manquement[5].
    2. 36 milliards d’euros consacrés à « la cohésion sociale et territoriale », Avec près de 6,75 milliards d’euros dans le « plan jeunes » afin de former les jeunes et les salariés tout en préservant l’emploi. Cela serait une sage décision mais des précisions sont attendues aussi bien sur la sécurisation des jeunes que sur la transformation des métiers au regard des enjeux majeurs d’aujourd’hui et demain sur les transitions environnementales. Sans quoi, c’est avant tout un plan abondant non pas pour les jeunes – et leur avenir – mais pour les entreprises. Il y a aussi 6 milliards d’euros débloqués pour l’hôpital dans le cadre du Ségur de la Santé. Un petit clin d’œil pour « réparer » la casse des hôpitaux des dernières décennies quand les dirigeants stratégiques de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie créèrent des tensions épistolaires avec le Ministère de la santé pour transformer l’hôpital en lieu de la tarification à l’acte !
    3. Et enfin, 30 milliards d’euros pour le « verdissement de l’économie » qui s’appliquent « à la rénovation thermique des bâtiments, aux investissements dans les infrastructures et dans la mobilité verte, au développement de technologies vertes, à la stratégie hydrogène ».

Regardons de plus près ces 30 milliards dédiés au verdissement de l’économie, sans être pour autant exhaustif :

Nous sommes bien loin du discours du 16 mars prononcé par le Président de la République. Le plan de relance a des allures keynésiennes dans la continuité des préoccupations de l’ancien monde. 

Et l’urgence écologique rencontrait l’urgence économique comme si elle était une variable d’ajustement. Ce qui est d’autant plus un leurre qu’on peut vite s’apercevoir, comme pour tous les pays membres du G20, une très forte addiction au fossile sur lequel l’économie s’accroche. En effet, selon les dernières estimations faites par Energy Policy Tracker, un consortium de 14 think tanks, les pays membres du G20 consacreraient, dans leur plan de relance, 139 milliards de dollars pour les énergies renouvelables et, en même temps, 204 milliards de dollars pour les énergies fossiles.[9] Comment alors prôner une transformation écologique sobre, solidaire, soutenable et souveraine, alors que les Etats, y compris la France, continuent d’investir dans le carbone à coup de milliards d’euros ?

Et pendant ce temps, France Relance permettrait une réduction directe des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 57 millions de tonnes de CO2 grâce à un ensemble de mesures (rénovation énergétique des bâtiments, de décarbonation des sites industriels, de verdissement du parc automobile privé et public, de développement de transports en commun…). Pour autant, France Relance propose des investissements dangereux pour l’environnement soutenant des mesures ayant recours à l’énergie fossile ou émettrices de CO2. Mais, là, on ne trouve pas de précisions sur les millions de tonnes de CO2 qui seraient émises. Le bilan carbone total reste encore à faire pour apprécier jusqu’à quel point ce plan participe d’une transformation écologique ! 

Rien ne sert en effet de « verdir » des politiques si on n’en change pas radicalement l’orientation et si on n’en démocratise pas fondamentalement les rouages (Henri Malosse, 2020)[10].

Cela se confirme par aucun changement d’orientation, aucune remise en question, aucun changement de paradigme. La rentrée est déjà très chargée de discours violents (« les ayatollahs de l’écologie »). Elle s’est engagée avec un moindre intérêt pour les préoccupations environnementales, avec mépris et détricotage systématique du droit de l’environnement (chasse, néonicotinoïdes…), ou encore avec les prémices d’un affaiblissement des engagements « sans filtres » pour les propositions de la Convention Citoyenne !

Rappelons qu’il y a peu, on entendait des « croyances à la croissance écologique ou à l’écologie du mieux »[11]. Rappelons qu’en juillet 2020, le Premier Ministre annonçait « Tous écologistes ». 

Cela a tourné bien court. Le temps du retour à l’essentiel et d’en tirer les conséquences est bien loin ! Trop loin ! Le plan de relance est l’expression du temps de la satisfaction de l’économie destructrice, car on relance en faisant mieux que dans le monde « d’avant ». Et on saupoudre d’écologie comme on assaisonne un plat cuisiné. Mais attention, pas trop écolo-épicé, car sinon cela serait insupportable ! C’est pour cela que, comme évoqué précédemment, l’application d’éco-conditionnalités sur les aides des entreprises sont évasives. Les entreprises doivent jouer le jeu sur l’emploi, et au mieux sur leur bonne volonté pour ce qui est de l’écologie. Ce qui serait « normal » car le tissu productif a été détruit par la pandémie, alors qu’au même moment les ménages épargnaient ! Ceci expliquerait aussi pourquoi, pas même une poignée d’euros ne serait adressée pour accompagner les ménages et les citoyens !

Dès lors, on ne peut pas parler de plan de relance ou de reconstruction. Rappelons que la définition de REconstruire est « Construire à nouveau ce qui était démoli »[12]. Si on construit de nouveau ce qui a été démoli sans en comprendre ou en faisant fi de comprendre les causes et les conséquences, alors on revient à la situation d’avant en faisant pire ! Le plan de relance présenté ce 3 septembre 2020 le confirme. Et en évoquant avec légèreté l’« écologie », pour se déculpabiliser des actes « as usual ». Ça y est, les destructeurs et les homo-economicus oppressés sont pleinement déconfinés pour revenir à l’état d’avant !

Les homo-economicus ont créé, et continuent en les consolidant, les conditions d’in-habitabilité sur Terre !

***

Nous regrettons que le gouvernement ne prenne pas le cap de la transformation écologique profonde pour faire face au défi majeur d’éteindre le feu qui brule la maison des terriens ! Pendant ce temps, le tic-tac des conséquences dramatiques du changement climatique, de la destruction de la biodiversité et du vivant … résonne violemment dans nos têtes et nos cœurs. La France et les citoyens perdent trop de temps.

Engageons au contraire avec toutes les forces vives et enthousiastes, une révolution heureuse et solidaire pour tout changer, pour le vivant qui renouera les liens avec la Terre.

***

Je regarde les arbres, et je les vois souffrir, pleurer de notre mépris. J’entends les abeilles, et elles s’interrogent sur ce qu’est le miel qui fait vibrer l’humanité…


[1] Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la mobilisation face à l’épidémie de COVID-19 du 16 mars 2020. 

[5] Voir à ce sujet les débats à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances rectificative du 25 avril 2020.

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