« Je suis candidate à l’élection présidentielle pour reconstruire une écologie capable de gouverner »

Dans un entretien au Nouvel Obs paru le jeudi 27 novembre 2025, Delphine Batho a annoncé que Génération Écologie a choisi de présenter sa candidature à l’élection présidentielle. 

L’interview dans son intégralité :

Serez-vous candidate en 2027 ?

Delphine Batho Oui, j’ai décidé de me porter candidate à l’élection présidentielle. En rejoignant la primaire de la gauche, Marine Tondelier et Les Ecologistes (LE) ont franchi un Rubicon, actant qu’il n’y aurait pas de bulletin écologiste au premier tour. Mon parti, Génération Ecologie, le deuxième parti écologiste de France, a donc choisi de présenter ma candidature. Ce n’est pas une affaire de personne, mais un choix visant à reconstruire en France une écologie capable de gouverner. Si d’autres personnalités écologistes sont prêtes à rompre avec la logique de disparition, nous sommes tout à fait ouverts et favorables à ce qu’il y ait une primaire entre écologistes.

Le Rassemblement national est au plus haut, la gauche et les écologistes toujours plus émiettés… La situation ne commande-t- elle pas de s’unir dès le premier tour ?

Cette façon de penser est en train de tuer la démocratie. Les quarante dernières années de combat contre l’extrême droite ont montré un épuisement des stratégies défensives et du vote par défaut. Or je ne crois pas qu’on puisse convaincre les électrices et les électeurs en leur faisant croire que des gens qui pensent des choses très différentes sur des sujets essentiels tels que la politique étrangère, l’Europe ou la croissance, peuvent s’entendre. Le seul contenu, c’est l’unité. De qui ? Pour quoi faire ? On ne gagne pas une élection présidentielle en France en voulant faire barrage au RN. On la gagne parce qu’on a un projet de transformation du pays et qu’on a une crédibilité sur la capacité à le mettre en œuvre.

Vous ne croyez pas à la capacité propulsive d’une primaire de la gauche ?

Je suis opposée à cette primaire. Je constate d’ailleurs que les différents partis engagés dans ce processus ne parlent que d’échafaudages et jamais de contenus. Le discours unitaire est un cache-misère. Il cache un vide, et dans ce vide, il y a beaucoup d’ambiguïtés. Au nom de quoi l’écologie devrait-elle disparaître ? Il me paraît suicidaire de décider d’une autodissolution dans ce processus. S’il n’y a pas de bulletin écologiste au premier tour de l’élection présidentielle, on tire une balle dans le pied de toutes les forces citoyennes qui se battent sur le terrain. C’est la négation même de la notion d’écologie politique.

Partout dans le monde, l’écologie est en recul…

Cette crise est encore plus sévère en France. L’écologie est en voie de « rikikisation », si j’ose dire. Elle est en passe de devenir un satellite de l’extrême gauche.

Comment expliquez-vous ce rejet ?

Les écologistes sont rejetés, mais pas l’écologie. Il y a un potentiel énorme. La pétition contre la loi Duplomb, signée par plus de deux millions de Français, l’a illustré. C’est une erreur d’analyse de croire que les gens n’ont pas compris l’accélération du changement climatique ou le lien entre explosion des cancers et contaminations chimiques. Il y a une conscience écologique dans la société. Elle n’a pas disparu.

Pourquoi les écologistes n’ont-ils pas capitalisé sur la vague verte des municipales de 2020 ?

L’électorat attendait la construction d’une écologie de gouvernement. Cette attente a été déçue. Face au backlash et à l’offensive climatosceptique, il n’y a pas eu de travail. Nous sommes entrés dans un nouveau siècle. L’époque a changé, il y a des catastrophes climatiques tous les jours, la guerre en Europe. La logique d’une écologie corrective n’est plus adaptée aux bouleversements en cours. Le récit de la transition en trente ou cinquante ans, ça ne colle pas avec un seuil de 1,5 degré de réchauffement dépassé avant 2030. Le programme des Ecologistes est obsolète. A cela s’ajoute un déficit de crédibilité. Des prises de position et un soutien à certaines formes d’action ont contribué à une marginalisation dans le paysage politique.

De quelles positions et de quelles formes d’action parlez-vous ?

Je pense aux positions sur les questions de sécurité et de laïcité. On peut être écologiste et être contre le port de l’abaya. On peut être écologiste et ne faire preuve d’aucune naïveté face à la montée de l’islamisme. On peut être écologiste et ne pas avoir de complaisance pour les black blocs et la violence. On peut être écologiste et voter pour la loi contre le narcotrafic…

Vous êtes pourtant la seule membre du groupe écolo à avoir voté en faveur de cette loi. Pourquoi?

Dans un texte, on peut toujours avoir une réserve sur telle ou telle disposition. Mais cette loi résulte d’une commission d’enquête sénatoriale devant laquelle tous les magistrats et policiers spécialisés de France sont venus témoigner de ce à quoi ils sont confrontés. Il me semble qu’il fallait apporter un soutien politique à la volonté que le pays franchisse un cap dans la lutte contre le narcotrafic.

Vous étiez aussi la seule à ne pas voter la motion de rejet qui a empêché un débat sur le projet de loi immigration, et vous n’étiez que trois à ne pas voter la censure contre Sébastien Lecornu…

Je ne suis jamais pour la politique du pire. Quand on aspire à vouloir gouverner la France, on doit en permanence se déterminer en fonction de l’intérêt général et non en fonction de celui de sa formation politique. Au moment où le pays vit une overdose d’instabilité, il nous faut rechercher le minimum d’apaisement qui nous permettra d’avoir un vrai débat démocratique en 2027. La stratégie du chaos permanent fait le jeu de l’extrême droite. Voilà ce que me disent les citoyennes et citoyens des Deux-Sèvres.

Les Français ne semblent pas plébisciter une écologie radicale…

La vraie radicalité, c’est la décroissance. Une très large partie de la société française sait pertinemment que vouloir sauver la croissance du PIB est incompatible avec la sécurité climatique, celle de notre approvisionnement en eau et en nourriture. C’est une radicalité qui est intégralement non violente. La radicalité qui est rejetée, c’est une forme d’agressivité permanente, une stratégie de brutalisation du débat public, qui est totalement contre-productive. Il y a dans la société une aspiration profonde à l’unité, au dialogue, au compromis.

Vous appelez en fait les écologistes à rénover complètement leur doctrine…

Oui, il faut faire table rase pour construire une offre politique positive. Nous devons procéder à un renversement de paradigme pour que les écologistes ne soient pas seulement des lanceurs d’alerte ou les messagers des constats scientifiques, mais bien la force positive du refus de l’effondrement. Cette nouvelle offre doit reposer sur deux piliers. D’une part, la santé, c’est-à-dire une eau qui n’est pas polluée, une nourriture qui ne nous empoisonne pas, la lutte contre les déserts médicaux et contre les causes de l’explosion des maladies environnementales. D’autre part, la sécurité au sens large. Notre sécurité physique face aux changements climatiques, la sécurité de la nation et de l’Europe dans un contexte géopolitique menaçant et notre sécurité sociale pour réduire les inégalités, garantir une vie digne et sortir 5 millions de Français de la pauvreté.

Comment convaincre les catégories populaires de voter pour la décroissance ?

Les catégories populaires pour lesquelles je me bats sont les premières victimes de l’obsession pour la croissance du PIB, qui a pour corollaire la dette, les déficits, les plans de rigueur successifs. Ce sont les premières victimes de l’empoisonnement alimentaire, de la malbouffe, de l’emprisonnement cognitif qu’est l’appel permanent à la surconsommation. La décision prise par les fédérations de commerce d’attaquer Shein pour concurrence déloyale s’inscrit totalement dans la logique d’une économie de l’utile relocalisée et c’est aussi une rupture avec la fuite en avant dans la surconsommation toujours bonne pour le PIB. Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, je ne pense pas qu’il y ait la moindre justification à laisser faire Shein. La décroissance que je soutiens, c’est une politique de défense de l’économie de proximité contre les 600 avions gros-porteurs qui décollent chaque nuit de Chine pour apporter des produits qui ne respectent aucune norme, qui sont blindés de produits chimiques dangereux. Je ne crois pas que le Black Friday contribue à l’émancipation des catégories populaires.

Propos recueillis par Rémy Dodet, Le Nouvel Obs

 

Suivez-nous sur les réseaux !

facebook
bluesky
instagram
linkedin
telegram